Comment nos décisions sont-elles influencées par un état de fatigue extrême ?
Article publié le 25 novembre 2021 sur le site de l’Institut du Cerveau
Comment nos décisions sont-elles influencées par un état de fatigue extrême ? Telle est la question à laquelle les chercheurs de l’Institut du Cerveau ont tenté de répondre, grâce à une expérience « grandeur nature » unique menée le week-end du 11 novembre 2021 à l’initiative de Benoît Mauvieux, chercheur à l’Université de Caen.
Viaduc de Clécy (Calvados), jeudi 11 novembre, 14h30, 56 hommes et femmes s’élancent pour une course à pied inédite de 156 km sur 6000 mètres de dénivelé. Certains arriveront 22 heures plus tard, d’autres mettront 42 heures pour couvrir les 156km. Mais quelle est donc leur motivation ? La principale, faire avancer la science, aller au-delà de leurs limites pour mieux comprendre comment le corps humain s’adapte à des efforts intenses et à une privation de sommeil !
Tous les 26 kms, les coureurs sont soumis à pas moins de 40 tests physiques et mentaux, allant du simple questionnaire à une échographie cardiaque en passant par des prises de sang, des mesures du pied ou encore des tests de vigilance.
Parmi les 70 chercheurs mobilisés pour « explorer » les conditions physiques et mentales des coureurs avant, pendant et après la course, Mathias PESSIGLIONE, chef de l’équipe « MOTIVATION, CERVEAU ET COMPORTEMENT », Roeland HEEREMA, Thelma LANDRON et Antonius WIEHLER, doctorants et post-doctrants, ainsi que Karim N’DIAYE, responsable opérationnel de la plateforme d’études comportementales PRISME de l’Institut du cerveau, ils ont pour objectif d’évaluer la prise de décision pour tenter de déterminer les mécanismes cérébraux qui « font tenir » ces coureurs malgré l’extrême fatigue, le manque de sommeil et la douleur.
Mais comment faire cette évaluation en moins de 5 mn tout en ayant des résultats pertinents et exploitables ?
L’hypothèse des chercheurs de l’Institut du cerveau est que notre cerveau utilise des mécanismes communs pour ignorer ce qui distrait l’attention et pour poursuivre un effort malgré la douleur et la fatigue.
A partir de cette hypothèse, les coureurs ont été soumis à des tests : 2 fois avant, 6 fois pendant et 1 fois après la course : un test de référence mesurant la force musculaire et un test critique mesurant le contrôle attentionnel.
Le test de contrôle attentionnel, dit Stroop numérique, consistait à comparer des chiffres présentés deux par deux, afin d’identifier le plus grand par sa valeur numérique. La difficulté est que les chiffres différaient également par leur taille à l’écran, ce qui peut induire des interférences, par exemple si le chiffre 3 est écrit en gros et le chiffre 7 en petit, comme dans l’exemple ci-dessous.
Les coureurs effectuaient plusieurs séries de 10 comparaisons, en essayant d’aller le plus vite possible sans faire d’erreur. En effet le nombre de comparaisons correctes effectuées dans un temps prédéfini donnait lieu à un classement parmi l’ensemble des coureurs. Le résultat du test témoigne donc à la fois de la motivation pour obtenir un bon classement et de la capacité à se concentrer pour ignorer les informations non pertinentes.
Toute la question dans les conditions extrêmes de cette expérience sera de déterminer l’influence de la fatigue sur ces deux composantes : va-t-on assister à une baisse de motivation ou à des perturbations attentionnelles ? Et surtout, lequel de ces deux facteurs sera le meilleur prédicteur des performances dans la course, c’est-à-dire qui parviendra à finir le parcours et en combien de temps ?
Le pari des chercheurs, basé sur les travaux antérieurs de l’Equipe de Mathias PESSIGLIONE à l’Institut du Cerveau, est que « la force du mental », c’est-à-dire les capacités de contrôle attentionnel reposant sur le cortex préfrontal, sera déterminante.
Tous les résultats des évaluations réalisées sur ces « coureurs de l’extrême » au cours de cette expérience sont en cours d’analyse et nous vous tiendrons informés des résultats.